
Women In MusicTech #2 : Nathalie Birocheau, CEO Ircam Amplify

Alors que la musique et le son font leur révolution numérique, Nathalie Birocheau a co-fondé et dirige depuis deux ans Ircam Amplify, entité mettant à disposition de l’industrie les recherches fondamentales du célèbre Ircam – Centre Pompidou, l’Institut français de recherche scientifique, d'innovation technologique et de création musicale fondé en 1977 par Pierre Boulez.
Cette ingénieure de 36 ans a commencé sa carrière dans un grand cabinet de conseil avant d’intégrer Radio France, où elle a notamment œuvré à la rénovation de la Maison de la Radio puis à la création du média international franceinfo.
Diplômée de Centrale-Supélec, elle dirige aujourd’hui une équipe d’une dizaine de personnes dont la vocation est de répondre aux besoins du marché dans le domaine de l’innovation sonore et musicale. Parmi ses clients, les maisons de disques, le monde du cinéma, mais aussi des compagnies d’assurance, l’industrie automobile et les secteurs du luxe et de la grande distribution.
C’est quoi, Ircam Amplify ?
L’Ircam - Institut de Recherche et Coordination Acoustique/ Musique - est une institution mondialement connue. Rattaché au Centre Pompidou, il a trois grandes missions : la recherche pluri-disciplinaire sur la musique et le son, la création musicale contemporaine et la formation aux métiers du son.
Ircam Amplify en est la filiale commerciale, créée en 2019, avec pour objet de déployer et de valoriser les technologies et savoir-faire développés au sein de l’Ircam auprès de l’industrie. L’Ircam se concentre sur la recherche et l’innovation, Ircam Amplify est tournée vers les besoins du marché et les usages de ses clients et du grand public.
Rares sont les femmes à des postes de direction dans l’industrie de la musique.
Je suis ingénieure, je viens d’un environnement plutôt technique et masculin donc j’ai l’habitude ! Si l’industrie musicale est un pan très important de mon activité, j’ai aussi affaire à d’autres industries. Il existe des secteurs encore plus masculins comme l’automobile ou la robotique, où l’on ne voit quasiment pas de femmes. Même s’il y a eu des progrès ces dernières années, il y a encore des défis à relever pour aider les jeunes générations à se projeter.
Si l’industrie musicale est un pan très important de mon activité, j’ai aussi affaire à d’autres industries. Il existe des secteurs encore plus masculins comme l’automobile ou la robotique, où l’on ne voit quasiment pas de femmes
Pour relever ces défis, il faut s’ouvrir au monde ?
Oui, et dès le plus jeune âge. C’est aux adultes de transmettre aux jeunes générations l’envie, la curiosité. Je viens d’une famille où nous sommes trois sœurs, toutes les trois ingénieures ! Au petit déjeuner, en voiture, en vacances, nos parents nous ont toujours incitées à nous amuser tout en apprenant les maths et la physique… La physique, ça n’a rien d’ennuyeux, c’est par exemple expliquer à un enfant comment un avion vole ou pourquoi les journées sont plus courtes en hiver… C’est une manière de comprendre le monde. L’ouverture d’esprit est une qualité essentielle.
Et si on estime que le sujet est beaucoup trop compliqué, il faut s’accrocher. Tout cerveau, sans distinction de genre, est capable de comprendre comment fonctionne un algorithme, même si ça peut paraître difficile au début. .
Finalement, ce sont les maths qui vous ont mené vers la music tech ?
Mon père m’a toujours dit « fais des maths pour mieux comprendre le monde et participer à trouver des solutions ! ». Les disciplines scientifiques permettent de structurer sa pensée… Je ne suis plus du tout dans un métier technique aujourd’hui mais cette expérience me permet d’aborder les problèmes, de modéliser des scénarios, d’avoir un esprit d’analyse et de synthèse, pour pouvoir traiter un très grand nombre de sujets en parallèles et prendre les meilleures décisions possibles à tout moment. Et en tant qu’ingénieure, je pense systématiquement « recherche de solutions ». Dans le métier que je fais aujourd’hui, c’est fondamental.
On peut douter, se poser des questions ou avoir des moments difficiles parce qu’on est la seule femme dans des réunions avec 10 hommes qui n’ont pas forcément envie d’entendre qu’on ne voit pas les choses de la même manière. Dans ces moments-là, c’est très important de parler, de chercher autour de soi des allié·e·s et des soutiens.
Quels conseils donneriez-vous à des jeunes femmes dans ces métiers ?
Ne pas hésiter à aller chercher des soutiens. On peut douter, se poser des questions ou avoir des moments difficiles parce qu’on est la seule femme dans des réunions avec 10 hommes qui n’ont pas forcément envie d’entendre qu’on ne voit pas les choses de la même manière. Dans ces moments-là, c’est très important de parler, de chercher autour de soi des allié·e·s et des soutiens.
Dans mon parcours, j’ai pu compter sur des femmes, des supérieures hiérarchiques qui ont été attentives à ce que j’ai ma place, que ma voix soit écoutée et respectée. Des hommes aussi m’ont soutenue, et ils ont un rôle fondamental dans l’équation globale. Il faut quand même parfois jouer des coudes pour s’imposer, mais quand on est sûres de nous, il faut oser !
Il faut aussi écouter. Ne pas hésiter à aller vers ceux qui sont dans cette industrie musicale, qui y exercent des métiers concrets, pour comprendre ce qu’ils font et quels sont les enjeux réels du secteur. Et de là, réfléchir à quoi on peut être utile, avec son expérience, son caractère, ses qualités et ses défauts. Il faut rencontrer un maximum de gens et se faire un avis concret. C’est ce qu’on m’a conseillé il y a quelques années quand je me suis moi-même posé des questions.
On peut faire mieux ?
Je suis délibérément optimiste et convaincue que toute femme est à sa place dans l’industrie musicale et dans l’industrie en général, y compris dans les métiers techniques. Elles apportent une manière complémentaire de voir les choses. Je suis très attentive à mixer les profils dans les équipes – y compris technique - que je constitue au sein d’Ircam Amplify, parce que c’est la clé. Equilibre femmes/hommes, mais pas seulement : plus on mixe les points de vue, plus il y a de diversité, de manières différentes de voir le monde, plus on s’enrichit.