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Women In MusicTech #3 – Sophie Goossens

Women In Music Tech
Écrit par : Rhian Jones
Publié 08 oct 2020
5 min de lecture

Sophie Goossens est une avocate spécialisée dans le droit d'auteur, les médias numériques et la technologie. Elle occupe le poste d'associée au sein du cabinet d'avocats mondial Reed Smith. Elle a commencé sa carrière dans une agence de publicité en France avant de rejoindre une société de distribution de musique, pour laquelle elle rédige le tout premier contrat de distribution numérique. Elle a rejoint ensuite la maison de disques indépendante Green United Music, tout en poursuivant ses études de droit, puis a séjourné à New York avant d'atterrir à Londres pour rejoindre Reed Smith en 2017. 

Sophie Goossens

Une semaine typique pour Sophie Goossens est « intense », nous dit-elle. Elle implique un travail sur le droit d'auteur à l'échelle de l'UE (qui se concentre actuellement sur les changements qui découleront de la transposition de la directive européenne sur le droit d'auteur), un travail sur la réglementation des médias, la rédaction d'accords pour les lancements de produits et l'offre de conseils sur la blockchain. Nous avons discuté avec elle des NFTs, de la diversité au sein de l'industrie musicale et des conseils qu'elle donnerait à quelqu'un qui voudrait suivre ses pas. 

Les NFTs (non fungible tokens, ou jetons non fongibles) sont considérés comme étant le nouvel Eldorado des artistes indépendants. Quels défis présentent-ils d'un point de vue juridique et au niveau des droits d'auteur ?

À l'heure actuelle, les créateurs de NFT sont plutôt vagues quant à ce qu'ils vendent réellement en tant que NFT, et les fans ne comprennent pas suffisamment ce qu'ils achètent. Les NFT peuvent représenter un certain nombre de transactions différentes, par exemple, les NFT peuvent : documenter une vente de l'actif pertinent, auquel cas le jeton (token) comprendra un transfert de propriété (pour les actifs corporels) ou une cession de droits de propriété intellectuelle (pour les actifs incorporels) ; conférer une licence relative à l'actif pertinent, par exemple un jeton comprenant une concession de droits ; ou documenter une offre de services, par exemple un jeton de « certificat numérique ». 

Des problèmes peuvent survenir lorsque les NFT sont qualifiés en tant que vente alors qu'il s'agit en fait d'une licence ou d'une offre de service. D'après notre expérience, il est rare que la véritable propriété soit transférée à l'acheteur d'un NFT. Le décalage entre le vocabulaire utilisé pour décrire un NFT et ce qu'il fait réellement pourrait susciter des critiques de la part des acheteurs de NFT, mais aussi des organismes de réglementation. 

Le principal défi pour les artistes qui souhaitent frapper des NFT — un terme qui est utilisé pour décrire la première production d'un NFT — est de comprendre clairement ce qui sera exactement inclus dans ce NFT. Un NFT n'est pas un actif en soi, il s'agit essentiellement de la représentation numérique d'une transaction relative à un actif (numérique ou tangible), contenue dans un jeton numérique enregistré dans une base de données décentralisée et accessible au public (un registre de la blockchain). La tokenisation rend une transaction négociable, et cet outil promet de libérer un nouveau potentiel pour un certain nombre d'actifs liés à la musique.

Des problèmes peuvent survenir lorsque les NFT sont qualifiés en tant que vente alors qu'il s'agit en fait d'une licence ou d'une offre de service. D'après notre expérience, il est rare que la véritable propriété soit transférée à l'acheteur d'un NFT. Le décalage entre le vocabulaire utilisé pour décrire un NFT et ce qu'il fait réellement pourrait susciter des critiques de la part des acheteurs de NFT, mais aussi des organismes de réglementation.

Sophie Goossens, Copyright Lawyer, Partner at Reed Smith

Quels conseils offririez-vous aux artistes qui cherchent à s'impliquer dans le monde du NFT ?

Il est essentiel d'identifier le contenu et la portée de la transaction tokenisée – les artistes doivent examiner quel actif ils veulent attacher à un NFT et être clairs sur ce que le NFT fait, et surtout, ne fait pas. Les artistes doivent également être conscients de la structure de propriété de leurs actifs. Ils peuvent en effet avoir besoin d'obtenir la permission d'un éditeur de musique, de la société de gestion collective dont ils sont membres, d'une maison de disques ou d'un distributeur auquel ils ont accordé des droits.

Nous recommandons fortement aux artistes de travailler dès le départ avec leurs conseillers juridiques pour s'assurer de ne pas tomber dans certains des pièges les plus courants. Les problèmes courants qui peuvent survenir dans les transactions de NFT vont probablement inclure la nécessité de veiller à ce qu'une licence suffisante soit incluse dans l'accord afin d'affecter la concession des droits. La nature mondiale du marché des NFT, qui fonctionne parallèlement à la nature territoriale des droits de propriété intellectuelle comme le droit d'auteur, créera de véritables défis juridiques dans l'application de ces accords. Pour un artiste qui crée un NFT, cela signifie choisir soigneusement où et comment créer et accueillir les accords relatifs à chaque NFT et définir si la nomination de médiateurs s'avère nécessaire pour résoudre les différends. Cet aspect des NFT est particulièrement pertinent dans le contexte des lois relatives à la consommation. Ces lois exigent en effet que transactions soient transparentes à l'égard des consommateurs. Aucun artiste ne veut décevoir ses fans. Il est donc impératif de planifier ce qui arrivera au NFT avant et après qu'il soit échangé. 

Comme vous le savez, l'industrie de la musique, ainsi que l'univers juridique et le monde de la technologie, ont toujours été dominés par les hommes. Que doit-il se passer pour que cela change ?

Oui, le secteur de la musique a toujours été traditionnellement dominé par les hommes, mais au cours des vingt dernières années, le rôle des femmes dans l'industrie a évolué. Les femmes, qui occupaient jadis des postes de second plan, occupent maintenant des postes de direction, et l'industrie est maintenant beaucoup plus diversifiée qu'elle ne l'était auparavant.  

Ce qu'il faut faire ensuite va plus loin que le simple fait d'ajouter des femmes, ou de la diversité, ou d'augmenter le nombre de personnes représentant différentes cultures sociales au travail. Nous devons également développer de nouvelles valeurs et faire en sorte que le leadership collectif soit plus actif dans la transformation du secteur de la musique. Cela est particulièrement difficile à faire parce que nos industries ont été façonnées par ce que les sociologues appellent la « culture de compétition de la masculinité » qui récompense la confiance extrême, la capacité à travailler de longues heures, l'esprit « chacun pour soi », et la priorisation du travail avant tout, y compris le bien-être émotionnel. Tant que nous ne serons pas en mesure de redéfinir cette définition dépassée du « succès », il sera vraiment difficile pour toute entreprise de transformer de manière significative le lieu de travail afin que les minorités, y compris les femmes, se sentent à leur place sans avoir à adopter ces traits.

L'éducation, la sensibilisation et la culture sont essentielles pour que ce changement devienne une réalité. À cet égard, il est réconfortant de voir autant d'initiatives dans le secteur de la musique visant à éduquer le personnel sur ces questions et à stimuler le changement.  

Nos industries ont été façonnées par ce que les sociologues appellent la « culture de compétition de la masculinité » qui récompense la confiance extrême, la capacité à travailler de longues heures, l'esprit « chacun pour soi », et la priorisation du travail avant tout, y compris le bien-être émotionnel. Tant que nous ne serons pas en mesure de redéfinir cette définition dépassée du « succès », il sera vraiment difficile pour toute entreprise de transformer de manière significative le lieu de travail.

Sophie Goossens, Copyright Lawyer, Partner at Reed Smith

Quels conseils offririez-vous à quelqu'un qui veut poursuivre une carrière d'avocat en droit de la musique ?

J'adore mon travail et je me réveille tous les matins en me disant que j'ai beaucoup de chance que ce soit le cas. Je crois qu'une vraie corrélation existe entre ce que nous savons bien faire et ce qui nous rend heureux. Donc, être extrêmement bon dans ce que vous faites, ou du moins essayer de le devenir, sera toujours mon conseil numéro un pour toute personne qui poursuit une carrière dans le secteur juridique. En d'autres termes, toutes les heures investies pour acquérir une expertise ou un ensemble spécifique de compétences ont une réelle valeur. Le droit de la musique est vraiment complexe et le maîtriser peut sembler décourageant au début, mais ça en vaut vraiment la peine !