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Quelle est la place des artistes LGTBQIA+ sur la scène musicale? Conversation avec Xavier Paufichet, fondateur des Disques du Lobby

Discoquette Party © Anthony Retournard
Photo de couverture par : Anthony Retournard
Publié 23 Juin 2022
10 min de lecture

Connu des clubbers parisiens amateurs de house-music sous son nom de scène Ixpé, Xavier Paufichet a déjà un long passé dans l’industrie de la musique, il a notamment été directeur de la communication du regretté club Concrete Paris et spécialiste de la communication culturelle pour Red Bull

Mais Xavier est également le fondateur des Disques du Lobby, une plateforme de promotion d’artistes français.es issu.e.s de la communauté LGBTQIA+, prenant la forme d’une playlist Soundcloud remplies de morceaux exclusifs. 

En plein préparatifs des soirées de la Marche des Fiertés, Xavier a pris le temps de répondre à nos questions pour prendre le pouls de la scène musicale LGTBQIA+ française et internationale, dont il est fin connaisseur.

Xavier Paufichet © Linda Trime

Xavier Paufichet © Linda Trime  

Le but premier des Disques du Lobby est de mettre en avant des musiciens.ne.s, DJs ou producteurs/trices queers. Cependant, on voit de plus en plus d’artistes premier plan revendiqués LGBTQIA+. Vous pensez qu’il existe toujours un manque de visibilité pour ces artistes ?

Oui, je pense qu’il y a toujours un manque de visibilité. Si je descends dans la rue et que je demande à n’importe qui de me citer 5 artistes français·e·s LGBT de premier plan, ou du moins représenté·e·s dans les médias, je pense que personne ne me donnera 5 noms, à moins d’être bien informé. Certes, la représentativité des artistes queer avance dans les médias et dans la société, mais est-ce qu'elle est suffisante ? Je ne pense pas.

A mon sens, les maisons de disques ont trop longtemps évité le sujet parce qu'elles ne savaient pas comment gérer les artistes LGBT. Il y a par conséquent un vrai manque à rattraper sur la production et la promotion de ces artistes. C’est en cours, mais ce n’est pas encore suffisant. Et l’autre problème, ce sont les déferlements de haine subi par ces artistes. Je vais mentionner Bilal Hassani, qui fait face à des torrents de haine depuis son arrivée médiatique lors de l’Eurovision. On a peut-être gagné en visibilité, mais le combat est loin d’être fini.

Pour cette raison, je trouve qu’un autre aspect hyper important de cette représentativité, c’est qu’une partie du public puisse s’identifier aux artistes. Je vais prendre l’exemple de Rebeka Warrior, chanteuse dans Sexy Sushi et Mansfield Tya, et aussi productrice. C’est une lesbienne revendiquée, et quand on va à ses concerts, il y a plein de jeunes femmes lesbiennes qui sont là parce qu’elles peuvent s’identifier. Le fait de voir des artistes LGBT qui s’assument et déchirent tout permet à de nombreuses personnes, des jeunes, de se dire qu’ils peuvent en faire autant. Ça donne de la force !

Est-ce que le France est un peu à la traine sur ce sujet, par rapport à d’autres pays d’Europe, comme l’Angleterre par exemple ?

Même s’il ne faut pas tout réduire à ça, je pense que l’Angleterre est en avance, car il y a eu David Bowie, une grande figure des années 70 qui était peut-être la première personne gender non-conformiste à cette échelle de célébrité. Il y a aussi eu Queen et Freddie Mercury, qui était queer et l’assumait. Ils étaient respectés pour leur art, et leur sexualité n'était pas le premier sujet de discussion dans les médias. Kim Petras est un autre exemple plus récent : c’est une chanteuse allemande, transgenre (elle a d’ailleurs été la première femme transgenre à avoir été opérée à l’âge de 16 ans), c’est une pop star avec une carrière internationale et son identité de genre n’est pas remise en question à chaque article de presse.

Je vais encore mentionner Bilal Hassani car c’est un exemple flagrant de la situation en France. Dès qu’il fait une apparition, qu’il sort un morceau, c’est un déferlement de haine. Et je ne pense que cela se passe comme ça chez tous nos voisins, même si je ne dis pas non plus que l'herbe est toujours plus verte ailleurs.

A mon sens, les maisons de disques ont trop longtemps évité le sujet [de la visibilité des artistes LGBT] parce qu'elles ne savaient pas comment [les] gérer. Il y a par conséquent un vrai manque à rattraper sur la production et la promotion de ces artistes. C’est en cours, mais ce n’est pas encore suffisant. Et l’autre problème, ce sont les déferlements de haine subi par ces artistes.

Xavier Paufichet, Fondateur des Disques du Lobby

Pour revenir sur Les Disques du Lobby, le projet accueille aussi bien de la pop que des musiques électroniques. Hormis le fait qu'il soit membre de la communauté LGBT, quels sont les critères pour qu'un artiste soit choisi ?

En vrai, Il n’y en a pas beaucoup d'autres que celui-ci ! L'idée c'était vraiment d’ouvrir la porte à tous les artistes queer et LGBT français. Quand j’ai créé le projet, j’aimais bien dire que les Disques du Lobby n’avaient « pas de genre, ni de genre musical ». Pour dire que c’était un projet ouvert à tous, sans restriction de genre, de sexualité ou de style musical.

En tant que directeur artistique unique du projet, je faisais tout de même attention à ce que les morceaux choisis sonnent bien et que ce soit écoutable pour tout le monde. On peut dire qu’il y avait un critère de niveau de production basique, même si je n’attendais pas un niveau professionnel, parce que je sais que tout le monde ne peut pas se l'offrir non plus. Après il y a eu des morceaux un peu « crades » à l’oreille mais parce qu’il y avait une volonté artistique derrière.

Est-ce que la scène musicale en France est-elle encore militante lorsqu'il s'agit des combats LGBT ?

Je pense qu'il y a plusieurs formes de militantismes. Il y a un militantisme de rue, qui est un peu ouvert à tout le monde. Et puis il y a aussi le militantisme d'existence, on va dire.

Selon moi, les artistes qui ont une présence médiatique sont militant du fait de cette simple présence. Je pense par exemple à Yanis, une jeune artiste qui a fait son coming-out trans et non-binaire sur Mediapart. Yanis n’est pas spécialement venu avec un étendard militant, mais le simple fait de parler et d’exister dans l’univers médiatique français est un acte de militantisme. Je vais parler à nouveau de Bilal Hassani, mais quand il sort un morceau comme « Il ou Elle », ce n’est pas qu’un projet artistique, c’est aussi un projet d’éducation militant.

Il y a une autre forme aussi de militantisme artistique très intéressant aussi dans la communauté LGBT. C'est un militantisme de convergence des luttes : les artistes queers ne militent pas que pour leur propre cause la plupart du temps. Je prends pour exemple Kiddy Smile, qui a récemment sorti un clip dénonçant les violences policières tout en restant hyper queer, hyper flamboyant dans la vidéo. Il y a vraiment une convergence des luttes antiracistes, antisexistes, etc.

Selon moi, les artistes qui ont une présence médiatique sont militant du fait de cette simple présence [...] Le simple fait de parler et d’exister dans l’univers médiatique français est un acte de militantisme.

Xavier Paufichet, Fondateur des Disques du Lobby

Le milieu LGBTQIA+ a-t-il également beaucoup changé au cours des quinze dernières années ? Est-ce que cela a eu une incidence sur la scène musicale queer 

Curieusement, ce qui a le plus évolué dans la communauté LGBT, c’est l’utilisation des réseaux sociaux. Avant les réseaux sociaux, chacun était dans son coin. Le seul moyen de se retrouver était soit en club, soit dans les associations, et dans les deux cas, il n’y en avait pas beaucoup. Donc on restait souvent seul chez soi et l’isolation s’installait. C’est ce qu’ont connu plusieurs générations de personnes LGBT. Grâce à l’arrivée des réseaux sociaux et leur multiplication, il y a maintenant une communauté qui est à la fois physique, avec de plus en plus de lieux ou se retrouver, et digitale. Cette partie digitale est très importante, il y a beaucoup d’activité sur les réseaux sociaux, notamment des comptes Instagram militants où les jeunes LGBT peuvent s’éduquer sur plein de sujets, comme les questions de genre, la sexualité ou des sujets historiques liés au mouvement.

Je pense que c'est quelque chose qui a qui a vraiment changé la communauté actuelle. Parce qu’aujourd’hui, même une personne qui seule, isolée, qui habite loin de la ville, et qui se pose des questions sur son identité de genre, peut via ces réseaux trouver des personnes qui lui ressemblent, échanger avec elles, et potentiellement les rencontrer. Et pour revenir au sujet de la visibilité des artistes, ils utilisent aussi beaucoup les réseaux sociaux pour s’exprimer. Yanis justement a fait tout un travail de présentation de son coming-out, qui s’est avéré essentiel pour plein de jeunes personnes trans.

Après je ne pense pas que cela a vraiment changé la scène musicale, car les artistes queer sont au même niveau que les autres sur les questions de réseaux sociaux. Mais je pense que ça a permis à certaines personnes de mieux s’assumer quand ils voyaient sur les réseaux que des artistes LGBT prenaient la parole et n’hésitaient pas dénoncer les haters.

Le phénomène du queerbaiting n'est-il pas un indicateur que l'étiquette "queer" semble être devenue un argument de vente pour certains artistes, plutôt qu'un moyen d'affirmer leur identité ?

Je vais répondre un peu différemment à cette question. En fait, il se trouve que le milieu culturel au sens large a toujours été influencé par les communautés gay et LGBT. Pourquoi ? Parce que les personnes LGBT étaient souvent dans ces industries-là, que ce soit dans la mode ou la musique, et elles étaient souvent à l’avant-garde de tous les courants artistiques et culturels. Il était donc tentant pour les personnes hétérosexuelles qui étaient aux manettes des instances culturelles de se réapproprier les codes ce qu’ils voyaient à l’avant-garde en sachant que ça allait devenir à la mode après. Dans le cas du queerbaiting, c’est un peu différent puisqu’il s’agit de récupérer vraiment tous les codes, c’est presque de l’appropriation culturelle. Mais c’est compliqué de bien placer le curseur sur cette question.

Pour ma part, je n’ai pas toujours envie d’accuser un artiste de queerbaiting, même quand l’appropriation parait flagrante. On ne connait pas forcément l’entourage de l’artiste, s’il est influencé par des ami·e·s LGBT. J’ai tendance à donner le bénéfice du doute, mais il ne faut pas exagérer…. Je pense en particulier à un producteur et chanteur anglo-saxon – dont je tairais le nom - qui utilise des visuels très homoérotiques pour ses pochettes d’album ou dans sa communication. Il joue beaucoup sur cette imagerie gay, donc tout le monde pensait qu’il était homosexuel, mais en réalité pas du tout. Et maintenant, il a un public gay très présent à ses concerts… comme quoi ça marche !

Grâce à l’arrivée des réseaux sociaux et leur multiplication, il y a maintenant une communauté qui est à la fois physique [...] et digitale. Cette partie digitale est très importante, il y a beaucoup d’activité sur les réseaux sociaux, notamment des comptes Instagram militant où les jeunes LGBT peuvent s’éduquer sur plein de sujets.

Xavier Paufichet, Fondateur des Disques du Lobby

Vous êtes aussi l’un des organisateurs et co-fondateur des soirées Discoquette, qui mélangent DJ sets électroniques et drags show et où la mixité est le maitre mot. Est-ce que la fête est aussi une façon de militer ?

En un sens oui, la fête est une façon de militer car historiquement le club a toujours été un lieu où de nombreuses personnes de la communauté LGBT pouvaient se retrouver. C’est ce qu’on pourrait appeler un safer place : le club c’est l’endroit où la communauté peut échapper à la société, au quotidien, à toute l’homophobie et la LGBT-phobie subie dans la rue, au travail ou dans sa famille. Un lieu où une personne LGBT peut retrouver des gens qui lui ressemble. Donc par essence, le club et la fête sont des espaces militants.

Avec Discoquette, nous essayons de militer à différents niveaux. Nous avons une charte interne et externe présentant les valeurs du collectif, essentiellement composé de personnes LGBT. Nous faisons de la prévention pendant les soirées, nous avons des shows drag. C’est festif mais quelque part militant.

En tant que directeur artistique, je fais aussi très attention au line up des soirées. Pour moi, la création de line-up, choisir de mettre en avant des artistes qui n’auraient pas eu leur chance ailleurs est une autre façon de militer. Par exemple, pour la soirée de la Pride 2022, nous avons un plateau composé à 100% d’artistes LGBT, avec des personnes non-binaires, racisées, des drag queens et drag kings, avec une égalité quasi parfaite de genre. Pour moi c’est important, et cette façon de faire venir les artistes c’est déjà un acte militant

Nous pourrions faire une soirée techno qui cartonne avec tous les artistes du moment pour gagner plein d’argent, et il y aurait sans doute plein de gens contents. Mais ça ne nous intéresse pas, nous avons tous un travail à côté, nous faisons ça pour nous faire plaisir, faire plaisir au public et présenter des artistes qui nous semblent intéressant, dans leur personnalité comme dans leur musique.

Est-ce que pour nombre d'artistes LGBT, le club ne reste pas un des meilleurs lieux d'expression ?

Oui et non…. Comme je l’ai expliqué, c’est vrai que le club et les musiques électroniques sont très liés à la communauté LGBT. La techno a été fondée par des communauté minorisées et la house, née de la mort du disco, qui était la musique par excellence de la communauté gay afro-américaine. Il y a donc une histoire mutuelle très forte, qui fait que les artistes LGBT adorent s'exprimer en club parce qu’il y a cette énergie très différente.

Mais tous les artistes LGBT ne font pas de la musique de club, et heureusement !  Ça ne les empêche pas pour autant de venir fouler nos dancefloors de temps en temps !

La fête est une façon de militer car historiquement le club a toujours été un lieu où de nombreuses personnes de la communauté LGBT pouvaient se retrouver. C’est ce qu’on pourrait appeler un safer place : le club c’est l’endroit où la communauté peut échapper à la société, au quotidien, à toute l’homophobie et la LGBT-phobie.

Xavier Paufichet, Fondateur des Disques du Lobby

Quels sont les projets à venir pour les Disques du Lobby et pour Discoquette ?

Puisque nous parlions de club, commençons avec Discoquette : nous allons fêter nos 5 ans en septembre ! Concernant les Disques du Lobby, je fais une petite pause dans le projet pour prendre du recul et me donner le temps de réfléchir à ce que sera la « V2 », le temps de voir avec qui m’associer pour que le projet soit moins artisanal que ce qu’il était à ses débuts, même si ça avait son charme. Donc stay tuned comme on dit !

 

Découvrez les artistes des Disques Du Lobby sur leur site Internet et en résidence sur Tsugi Radio. Et retrouvez toute l’actualité du collectif et des soirées Discoquette sur leur compte Instagram.